Manies et obsessions
C’est rassurant de vivre avec une personne avisée, et qui est toujours capable de trouver des solutions à toute sorte de problèmes quotidiens ou même imprévisibles. C’est mon cas, et je peux dire que c’est rassurant, certes…mais, nom d’une pipe qu’est ce que ça peut devenir chiant !
Mon mari ne se contente pas de trouver des solutions à des problèmes actuels, non ! ce serait trop facile, trop simple pour son raisonnement complexe et sa super intelligence… quitte à dire que c’est d’un commun ! Non ! lui, il se projette dans l’avenir, se met à créer de toutes pièces des problèmes qui peuvent le rencontrer, et mêmes des cheminements problématiques peu probables, après il se crève à leur trouver des solutions, en stressant à mort six mois à l’avance. Quand à trente ans, on a déjà souscrit à deux assurances-vie et qu’on louche sur la troisième, c’est qu’il y’a un problème !
Tenez, par exemple, quand on part en visite chez des amis ou la famille, et qu’il se trouve que nos hôtes ont des gosses, c’est tout de suite la panique : « et si un des gamins avait une varicelle ? c’est contagieux la varicelle, tu sais ? »… oui, je sais, merci ! mais une varicelle est repérable grâce à ses boutons, à un kilomètre à la ronde, calme-toi ! « oui, mais si un des gamins lui crevait un œil à notre bébé, ça sera de ta faute ! »…je ne sais pas où tu as grandi, ni quel genre de personnes était tes compagnons de jeux, mais il est extrêmement rare que les enfants se crèvent les yeux pour jouer, calme-toi ! et si ceci… et si cela.. jusqu’à ce que j’écourte ma visite, en tout manque de courtoisie.
Pour mon accouchement, tout ce que je lui demandais, moi, c’était de se pointer à l’heure, de se contenter de stresser dans un couloir d’hôpital, en faisant les cent pas, et en fumant cigarette après l’autre, le cliché, quoi ! mais c’était sans compter avec la complexité de sa nature survoltée. Chez nous, l’alerte a été déclarée à partir du sixième mois : « et si tu accouchais au septième, ça arrive, tu sais ?! » …mais pourquoi veux-tu que j’accouche avant terme ? qui es-tu à la fin ? Nostradamus ?! Résultat : ma valise était bouclée, prête à servir à trois mois du terme. Et plus la date approchait, plus le stress augmentait. « et si l’ascenseur tombait en panne pile poil le jour de ton retour à la maison, on est au huitième quand même ?! ». puis, une bonne trentaine de minutes à se torturer les méninges, et à cogiter, il revient avec une solution : « tu resteras alors une heure ou deux, ou même toute la nuit à l’hôpital, jusqu’à ce que l’ascenseur soit réparé ». Amen !
Alors, pour faire des fiches de voyage, c’est le meilleur… vous voyez ce que je veux dire, ces fiches bristol avec les numéros à appeler en cas d’urgence, les adresses et numéros pour le joindre, et tout un tas d’autres informations pour moi. Et pour lui, des fiches avec les contenus de la trousse de toilette et de la valise, pour ne rien oublier.
Quand vous vivez avec une personne comme ça, plus rien ne vous arrive par surprise, tout est sous contrôle, votre temps est impeccablement géré, toute action relève un tourbillon de stress, mais en somme, croyez-moi, c’est rassurant de se savoir gérée par une personne aussi prévenante, surtout si l’on est comme moi bohémienne dans l’âme, et optimiste limite utopiste, refusant de voir une autre facette de la vie excepté le brigth-side. Je sais qu’en cas de coup dur, je peux compter sur mon homme qui aurait sûrement déjà pensé à tout, et tout arrangé. Alors, chaque nuit, je dors sur mes deux oreilles, cela pardonne tout le reste. C’est un discours qui peut choquer les féministes les moins farouches, et je risque de les avoir toutes sur le dos, mais, il faut le prendre autrement. Je dis simplement que dans un couple, c’est bon de se compléter, ça aurait pu être l’inverse.
Pour revenir aux manies, il y’a peu de temps, je taquinais souvent mon mari à propos de ça, et je m’amusais follement à l’agacer en dérangeant l’ordre des choses tel qu’il le percevait. Mais par la suite, il m’a fait remarqué qu’à mon tour, j’étais assez maniaque. Chose qui me semblait absurde et injuste. Je m’estime facile à vivre, pas exigeante, et loin de m’arrêter aux petits détails. D’ailleurs, le jour où il avait décidé de déplacer la télé dans notre chambre, câbles gisant par terre le long de l’appartement, je ne me suis pas tiré les cheveux, comme aurait fait une maniaque, ou le commun des mortels. Du moment que ce n’est pas dangereux, ce n’est pas un drame. Pas esthétique, certes, mais pas dangereux, et puis ça le rendait heureux, c’est bien ça l’essentiel. Et si les gens risquaient de trouver ça très laid, ils n’avaient qu’à fermer les yeux, ou ne plus revenir, le plus important, c’est que mon partenaire se sente bien chez lui. Je n’ai pas de salon marocain, et alors ?! déjà, je ne comprends pas le concept, et puis je n’ai rien à fiche, s’il m’arrive de crever demain, je ne regarderai pas ma vie de là-haut, en me disant : « mon seul regret, c’est de na pas avoir eu de salon marocain, avec rideaux et embrasses ». je ne suis pas branchée chiffons, je trouve que l’élégance est une question d’allure, ça n’a rien à voir avec les étiquettes collées au dos de nos fringues, et puis j’ai été totalement vaccinée contre les marques, après un passage dans une usine de confection. C’est une grosse arnaque que sont les marques : ils sous-traitent la confection à des ateliers, où ils font fabriquer un pantalon à quinze Dirhams tissu inclus, qu’ils affichent dans une vitrine de magasin franchisé à six cent Dirhams ! je ne suis pas une adepte de la consommation abusive, je ne me laisse pas piéger par la fièvre acheteuse. Chez moi, c’est l’essentiel et rien d’autre. Je préfère aller au souk, au lieu d’aller dévaliser les rayons d’une grande surface. Par principe d’abord, pour préserver la survie des petits commerces face à l’attaque massive de ces géants de la vente industrielle, qui écrasent les petites gens à coup de pub et de vente à crédit. Et puis je suis prête à sortir en un quart d’heure, contrairement à beaucoup de femmes dont avait dit un certain auteur, que lorsqu’elles vous disent qu’elles seront prêtes dans cinq minutes, la seule chose à en déduire, et à tenir pour certaine, c’est qu’elles parlent français.
Pour toutes ces raisons, et pour tant d’autres, je me disais donc, facile à vivre. Mais, mon adorable mari, s’est chargé de m’ouvrir les yeux, remettant sérieusement en doute le fondement de ma personnalité, que j’ai mis des années à bâtir, et à améliorer, en cogitant sur les problèmes existentielles, en bouquinant, et en méditant. D’un seul coup, il arrive à tout remettre en question, et à tout démolir. Car, maniaque, je l’étais quand même un peu.
Commençons par les courses, que je ne laisse personne ranger, parce que je le fais dans un ordre précis, que personne ne doit déranger, sous aucun prétexte : les pâtes d’un côté, les sauces et huiles de l’autre, sur le devant les choses utilisées quotidiennement, derrière, les moins utilisées, et tout au fond les réserves. Ça a le mérite d’être logique… du moins, pour moi. Il y’a aussi la manie des C.D. rangés, d’abord par type de musique, ensuite par artiste, et finalement par genre ( MP3, C.D, coffrets..). là-dessus, je pourrais argumenter, que ce n’est pas une manie, c’est tout simplement du bon sens, avec un tel ordre, tout est facile à retrouver, et on gagne un temps précieux. Mais là où je risque de manquer d’arguments, là où ça tourne carrément à l’obsession, c’est au lit. Rangez vos fantasmes, ça n’a rien d’érotique ! c’est juste que le lit doit absolument être fait au carré, sinon, c’est un vrai drame, cela m’empêche de dormir. Punaise ! si je vous raconte le nombre de fois, où je me suis retourné dans mes draps, comme si j’étais sur un lit de Fakir clouté, avant de céder à mon obsession, et de me relever au beau milieu de la nuit pour faire le lit au carré, en me sentant vraiment ridicule !
Eh bien, voilà, je le reconnais : je suis maniaque. Mais quand on arrive à reconnaître ses problèmes, c’est déjà la moitié du chemin sur la voie de la guérison. Et au moins, maintenant, j’arrive à comprendre les manies des autres et à les gérer. Et surtout, j’ai définitivement cessé d’embarrasser mon mari, et de le traiter comme un malade.